par Kamel DAOUD
Le vandale de Sétif est aussi fabriqué par le déni. Au faux «acte solitaire» du destructeur d’idole à Sétif, confondant la foi et le marteau, une statue et le sous-développement à vaincre, certains opposent un déni raffiné : c’est faire acte d’islamophobie que de parler trop de ce vandalisme. Cela sert aux discours extrémistes en Occident, donc, on doit se taire. Et en dénoncer le signe terrible, c’est juste exprimer une détestation de cette religion, une haine de soi, une fixation. A cette position, d’autres ajoutent le droit de leçon : il ne faut pas parler de Daech Boy à Sétif, parce que c’est ouvrir la vieille plaie des années 90. Il faut se taire, ne pas défendre ce pays, ne pas se défendre, se laisser faire, car ainsi, on préserve la paix précaire, on évite le retour à la guerre civile. Etonnante position de l’autruche : les prémisses d’une autre décennie noire sont là sous les yeux quand on fait semblant de regarder les hirondelles et les arabesques. Défendre son pays contre le mal n’est pas désirer une guerre civile, c’est juste éviter qu’elle advienne et qu’elle nous coûte autant. Le déni a été l’ancêtre de nos malheurs des années 90. Le déni a été une position d’idéaliste, du «vivre en bulle», du refus d’assumer la responsabilité de défendre sa terre. Et on l’a payé.
Pire encore, on viendra même vous faire la leçon au lieu d’en faire au vandale. Dénoncer la destruction de la statue d’Aïn Fouara devint secondaire face à l’impératif de vous faire la leçon sur la réconciliation. Vous devenez coupable d’appel à la résistance et l’homme au marteau devient juste un détail, une ombre, puis un oubli, un innocent. Et pourtant, ce sont ses semblables qui ont tué des centaines de milliers de personnes, ont détruit ce pays, ce ne sont pas nous. Par ce droit d’aînesse, la peur, la lâcheté et l’irresponsabilité sont discrètement dédouanées par des pédagogies de la prudence. A la fin, la faute est celle de celui qui exprime une colère inquiète et celle de la statue nue car nue. Etrange : on reproche encore à Chadli d’avoir légalisé le FIS et on s’accommode d’une légalisation plus gigantesque aujourd’hui. Et le Régime croit encore pouvoir gagner de la stabilité, et avec les mêmes illusions, et en jouant avec le feu, encore une fois.
A la fin ? Parler de l’homme au marteau devient un délit. Le vandale de Sétif est même présenté par Echourouk comme un «fou», un homme qui a mal géré un deuil familial. On publie la photo de sa fille et de son père pour provoquer l’émotion et on se lave les mains d’avoir fabriqué cet homme, ses convictions, son acte et, aujourd’hui, son malheur et le nôtre. C’est un cas «social». C’est la faute au wali qui ne lui a pas donné un logement ou un travail. C’est la faute à l’Algérie. C’est une victime. On retombera dans le cycle des années 90, un jour ou l’autre, avec cette fabrication du déni. La «bombe», ce n’est pas en fermant les yeux qu’on la désamorce. C’est en la désamorçant et en démantelant la machine qui la fabrique sous nos yeux. Nos ancêtres, face aux colons, n’ont pas fermé les yeux pour libérer ce pays. Et construire ce pays n’est pas construire des compromissions.
Et au moment où l’Arabie Saoudite, qui nous a inoculé cette tumeur, réforme, danse et se libère, nous avons le malheur de nous déclarer plus wahhabites que les wahhabites eux-mêmes et de le nier en même temps. Vieille maladie du zèle chez nous, dans nos têtes.